Salades sauvages
Dès que les prémisses du printemps pointent leur nez : salades sauvages.
Les premières belles journées ensoleillées de février, chagrine l’hiver. Un vert plus mordant apparaît sur les talus. C’est sur, enfin ça pousse. Doucette, pissenlit, oseille, pimprenelle, coquelicot, salsifis, silène enflée, bourrache, juste ensalata, littéralement "mangée avec du sel", furent, jusqu’à l’apparition des cultures forcées et sous-serre, les premières verdures disponibles de l’année.
Tous les peuples des régions tempérées, après les mois d’hiver nourris de pomme de terre, de choux et de viandes salées, ont attendu ces sauvageries vertes. Elles étaient une espérance de l’abondance des saisons futures et plus pratiquement une source de vitamines et de goût nouveaux au sortir de l’hiver.
Ces plantes sont sauvages, ramassées sur les bords de chemin, dans les vignes ou dans les chaumes de céréales ni désherbées, ni trop engraissées. Elles sont sauvages, mangées le plus simplement possible, croquées en l’état ou juste en salade, comme ont du le faire nos lointains ancêtres chasseurs-cueilleurs. Les botanistes disent d’elles qu’elles sont dépuratives et régénérantes, en clair elles purifient l’organisme, favorisent l’élimination des toxines et donnent un deuxième souffle à votre métabolisme. Le nom de pissenlit, par exemple, est sans équivoque sur sa capacité à vous nettoyer l’intérieur. Une rosette de ce pissenlit à peine huilée d’olive et ensaladée d’une pincée de fleur de sel (salade vient effectivement de mangé avec du sel), vous réchauffe autant que le premier verre de vin pris sur une terrasse ensoleillée à l’ombre des platanes.
Le midi de la France et tous les peuples méditerranéens pratiquent toujours avec assiduité les cueillettes printanières. Ces plantes sauvages font d’ailleurs partie du fameux régime crétois, toutes aussi importantes que fruit, huile d’olive ou vin rouge. Ramasser des plantes hors des lieus de culture c’est une manière de se prouver, inconsciemment, que nous pouvons toujours réduire le sauvage à notre culture. Le sauvage est libre, un peu dangereux mais nous allons en faire quelques chose de bon.
Mon père nous réalisait de délicieuses salades de pissenlits. Il recherchait les pissenlits dans les taupinières, dont la terre avait forcé et blanchi la plantule. Plus tendre que ramassés tout vert, sa salade, bien vinaigrée, était accompagnée de lardons de poitrine de porc séchée, sautés à la poêle. Le salé, la graisse et le croustillant des lardons accompagnés l’amertume des pissenlits. J’en bave d’enfance.
En vrais méridional, Joseph Delteil disait dans sa cuisine paléolithique “Si possible salade sauvage, salade des champs; c’est au printemps, comme tant d’autres créatures, qu’elle est le plus aimable.” .
Dans la région de Montpellier et sur tout le Languedoc, la cueillette printanière est pratiquée comme un sport national de nécessité vitale. Pas moins de 35 espèces de plantes sont ramassées pour être manger en salade. Le panier d’un ramasseur se compose de plantes de bases qui font la masse et de quelques plantes aux goûts et à la texture plus marqués. Doucette, pissenlit et coquelicot, ça c’est la base. Pimprenelle au goût de noix verte et de concombre, silène enflée à la couleur et au goût de pois mange-tout, roquette sauvage au goût si caractéristique, oseille acide, fenouil anisé, bourrache presque marine et chicorée à l’amertume fortement prononcée sont là pour donner du relief, des soubresauts gustatifs aux salades sauvages. Voilà pour les plus classiques dans le midi. Faites attention à la pollution sur le bord des routes, au prés trop pâturés par les moutons qui peuvent véhiculer des parasites. Un dernier lavage dans une eau légèrement vinaigrée permet en général de consommé ces salades sans craintes.
Pour apprendre à les reconnaître, le petit guide de terrain des Écologistes de l’Euzières et plus qu’utile.( “les salades sauvages, l’ensalada champanela”, les écologistes de l’Euzière, domaine de Restinclières, 34730 Prades-le-Lez, 0467595462). Trente-cinq fiches, avec nom scientifique, français et occitan, où et quand les cueillir, comment les reconnaître et plantes ressemblantes, font assez vite de vous un ramasseur hors pair. Très vite vous pourrez découvrir des goûts surprenant à portée d’Opinel. Et la liste des plantes consommables au printemps est impressionnante.
Il y a quelques années, pour une émission, François Couplan, ethno-botaniste connu pour avoir enseigné pas mal de plantes à Marc Veyrat, me demanda de lui indiquer un terrain vague, en plein Paris s’entend. Vingt minutes plus tard, il était de retour avec un chapeau plein d’échantillons. J’ai gardé en mémoire trois de ces plantes. La stellaire, on ne peut plus commune en bordures des haies, dans les jardins, là ou il y a de la fraîcheur. Très tendre la stellaire développe un vrais goût de noisette. La benoîte urbaine, dont les racines ont un parfum similaire à celui du clou de girofle. Enfin la barbarée, appelée aussi cresson de terre à la saveur moutardée. (“Dégustez les plantes sauvages, François Couplan, Sang de la terre éd., 2000).
Si vous n’êtes ni botanistes, ni coureur des champs invétéré, vous pouvez trouvez quelques plantes sauvages facilement. Pissenlits et doucettes sauvages sont souvent proposées sur les marchés. Leur goût est plus marqué que celui de leur cousines cultivées. Le pissenlit est amer et croquant, la doucette avec un parfum caractéristique et gras. Vous savez la doucette est la version sauvage de la mâche dont se sont fait une spécialité les maraîchers nantais. Dans le midi vous pourrez aussi trouver en vente des pousses de coquelicot au goût doux et agréable, le pourpier aux feuilles charnues et la roquette sauvage. Le pourpier se trouve souvent dans les potagers ou il est l’un des ennemis déclaré du jardinier. Plutôt que de le traité au round-up entretenez quelques pieds pour alimenter votre gourmandise.
Depuis quelques années il existe sur certain marché des producteurs et des ramasseurs de plantes sauvages. À Rennes, Annie Bertin propose plusieurs plantes propres à mettre du relief dans votre cuisine. Elle se fera un plaisir de vous expliquer comment les préparer et les manger. Carlo Crisci, du "restaurant le cerf" à Cossonay en Suisse, travaille avec quelques ramasseurs qui fournissent sa cuisine.
Vraiment si le sauvage vous fait peur, faite le entrer au potager. Si vous êtes jardinier ou si un de vos proches exerce cette passionnante activité vous pouvez trouver des semences de plantes sauvages à manger dans le catalogue Biaugerme.
Vraiment en dernier recours et pour suppléer l’absence de salades sauvages ou votre grosse flemme à essayer de les ramasser, il existe une solution bien simple, c’est le mesclun. Cette composition de pousses, trouve son origine très certainement dans le goût des méridionaux pour les petites salades sauvages dès le tout début du printemps. Le mesclun niçois, région ou une vingtaine de producteurs fournissent environ 150 tonnes par an, se compose de : roquette, pissenlit, laitues, cresson, chicorée, mâche, cerfeuil et persil. Ce choix de plantes n’est pas fait au hasard mais bien pour s’approcher d’un goût de sauvage. Toutes ces plantes sont ramassés à l’état de plantules et vous avez là une salade magnifique. Rien à voir avec un bête mélange de salade hydroponique ou pire avec des grosses feuilles coupées. Même si en occitan mesclun vient du verbe mesclar, mélanger, c’est pas le coté sud et mode qui est important mais le goût de prime verdure.
Proche de cette tradition, ma grand mère se régalait au printemps de ce qu’elle appelait la saladine. Pour son jardin, elle cultivait trois à quatre variétés de salade, très différentes, qu’elle produisait en semis avant de les repiquer en rang. Les semis produisaient toujours trop et elle composait une salade avec quelques pousses de laitue, de frisée, de scarole, quelques feuilles de persil auquel elle ajouter les pissenlits et les doucettes qui cherchaient à envahir son jardin. La plus simple des vinaigrettes et le plaisir était intense, sa manière à elle de fêter le printemps.
Goûtez ces primeurs sauvages, et n’oubliez pas qu’elles sont revigorantes et dépuratives, après des mois de chauffage centrale. Si vous n’en trouvez vraiment pas dans votre région essayez, gentiment d’inciter votre primeur dans mettre en culture ou de s’en procurer.
Nous nous sommes limités au sauvage, plantes sauvages dégustées le plus sauvagement possible, crues, mais elles peuvent être plus culturelles en passant par le cuit. Une poignée d’herbes sauvages, souvent des orties, du cresson, et de la roquette changait les parfums et faisait entrer le printemps dans la soupe.
Si les languedociens sont passionnés de salades, les corses sont maître en soupe.
En Corse, a suppa d’erbette, "la soupe d’herbes" est un plat référence et attendu du printemps. Sa recette doit donner lieu à de longue discussion entre cuisinières corses, faut-il mettre telle ou telle plante et en quelle quantité. Il existe d’ailleurs un livre édité par le Parc Naturel régional de la Corse entièrement consacré à la cueillette et à l’utilisation des plantes sauvages. Vous y trouverez plusieurs variantes de cette suppa d’erbette (“Arburi, arbe, arbigliule”, savoirs populaires sur les plantes de Corse, Parc Naturel régional de Corse éd. 1988.). Une petite précision, cette soupe à pour base une plante dénommée terre-crépie ou terre-grièpe en français, et dont le nom exacte est Reichardia picroides. Les corses la nomme lattaredda ou lattarella. Elle est aussi beaucoup consommé en salade en pays occitan ou on l’a désigne comme erba grèpia, toralhenca ou costelina. C’est une plante typique des pelouses et des garrigues arides, d’ailleurs grèpia signifie infertile. Riche en latex avec des feuilles charnues elles poussent en grosses touffes. Son goût réputé, est laiteux et légèrement parfumé. Si vous allez dans le midi ou en Corse au printemps à goûté à tous prix.
Reconnaissons le, ces cueillettes printanières sont de bien meilleurs écoles du goût que toutes les sucrées semaines du goût. Alors, ramassez camarades. Ramassez et faites ramasser.